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Photo du rédacteurJacques Heurtier

Plaintes du matin à l’EHPAD

Dernière mise à jour : 4 sept. 2023

- A mon âge, on ne vit plus, on survit à peine, murmura Madeleine.

La chambre de l’EHPAD était spacieuse et baignée de soleil. Virginie, l’aide-soignante, ne savait que dire. Elle s’habituait peu à peu à ces plaintes, lancinantes, des résidentes.

Ne pas nier ce qu’elles disent ressentir, avait dit la formatrice. - Ne pas se précipiter vers un "mais non, mais non", trop fréquent dans la bouche des soignants.

Elle laissa donc quelques secondes s’écouler. Elle ne pouvait pas non plus passer à côté, faire comme si de rien n’était.

- Vous ne vous sentez pas en forme ce matin ? demanda Virginie. - Je ne me sens jamais en forme : je me couche fatiguée et je me lève fatiguée… Vous savez ma petite, ce n’est vraiment pas drôle de vieillir… répliqua Madeleine.

Vous serez fréquemment confronté à de la tristesse ou de la colère, avait dit la formatrice. Le mieux que vous ayez à faire, c’est de l’accepter, de l’intégrer comme un élément incontournable des relations que vous aurez avec vos résidents. Surtout, n’en prenez pas ombrage : ce n’est pas une critique de votre travail… avait-elle rajouté.

Virginie le savait : il fallait lutter de la bonne manière contre ce spleen que certains résidents transmettaient aux équipes. La sensibilité ne doit pas conduire à être triste pour eux mais plutôt à échanger sur ce qu’ils ressentent.

- Vous voulez dire qu’il y a rarement de bons moments, c’est bien cela ? - Oui, je veux dire que ce n’est pas drôle de mourir un peu chaque jour, de s’en aller par petits bouts… murmura Madeleine.

- Pensez-vous que nous pourrions faire mieux, enfin, je veux dire, pensez-vous que je pourrais davantage vous aider ou vous soutenir ? demanda Virginie. - Non, ma petite, vous n’y pouvez rien… C’est le temps qui passe et repasse sur nos vieux corps et vous ne sauriez le stopper, n’est-ce pas ? - Vous avez raison, Madame, je ne peux arrêter le temps. Je peux simplement essayer de faire en sorte que les moments que nous passons ensemble vous soient le plus agréable possible… répondit Virginie. - C’est vrai, et pour tout vous dire, je me sens bien avec vous, Virginie, vous êtes mon petit rayon de soleil… - Merci Madame, dit Virginie.

C’était donc cela, chaque jour trouver les mots, accepter la tristesse et s’orienter vers le présent. Il n’y a là rien de désespérant, pensa alors Virginie. C’est peut-être cela, le plus bel aspect de notre métier. C’est peut-être cela, savoir accompagner le grand âge…

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