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Chagrin d'amour

Dernière mise à jour : 4 sept. 2023

Estelle posa son fichu. Il commençait à faire chaud dans la salle.

- Que c'est difficile d'effectuer des travaux aussi simples, pensa-t-elle.


L'animatrice leur avait donné des fiches cartonnées à colorier.

- Oh, ça me barbe... dit soudainement Aurélien.

- Tu veux un peu d'aide ? demanda Estelle.

- Non, merci, je devrais m'en sortir... Ah, ça, si j'avais su qu'un jour je me remettrais au coloriage, j'aurais instantanément mis fin à mes jours...


Aurélien avait conservé intact son sens de l'humour.

Il était toujours impeccable : chemise blanche et cravate. Il ne faisait pas du tout ses 94 ans. On lui en eût donné tout au plus 85.

Estelle éprouvait plus que de l'affection pour lui. Mais il demeurait distant. Courtois mais distant, chaleureux, attentif, mais distant...

Elle ne se résolvait pas à cette situation : elle aurait voulu de l'amour, avec un grand A. Elle aurait voulu être courtisée, sentir ses belles mains sur les siennes. Elle voulait frissonner, s'abandonner une ultime fois.

Une délicieuse gêne s'emparait d'elle à chaque fois qu'elle s'installait près de lui pour colorier.


- Alors, Mme Estelle, vous aidez votre amoureux ?

L'animatrice avait mis les pieds dans le plat. Estelle se sentit rougir : elle était ridicule...

Elle fit celle qui n'entendait pas.

Aurélien haussa le ton : "De quoi je me mêle ?"

Estelle frissonna. Si il se mettait en colère, c'est peut-être que…

- Oh, excusez-moi, dit l'animatrice, c'ėtait hors de propos...

- Ça, vous pouvez le dire... rétorqua-t-il.


Estelle se sentit tout à coup vidée de tout : un grand trou noir, peut-être cette fameuse antimatière, aspira tous ses rêves.

Elle resta là, hébétée, tenant distraitement son pinceau en l'air. Son esprit se disloquait. Elle ne parvenait plus à penser, à être, à exister.

Ainsi, il n'éprouvait rien pour elle, qu'une vague sympathie.


Elle pensa, à ce moment-là, que sa vie ne valait plus la peine, qu'elle avait été aspirée par cette malédiction. Elle resta là, muette, l'encéphale endolori. Elle ne mangea plus, ne dormit plus, ne parla plus. C'était la fin.

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