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La consultation philosophique…

Dernière mise à jour : 16 juil. 2021

Danielle avait beaucoup hésité. Après des années à consommer des benzodiazépines, maudire sa mère, collectionner les idées noires, elle voulait que cela change. Pourquoi n’y aurait-elle pas droit, elle, au bonheur ? Oh, non, pas un énorme bonheur, non, juste quelques petits moments dans la journée ou tu es bien, quelques nuits complètes et de temps en temps un réveil en pleine forme. Pourquoi était-elle tout le temps envahie par des tourments inexpliqués ?

Elle avait lu un article sur les consultations philosophiques. Cela lui avait donné envie. Et puis là, elle était sur le trottoir. Elle se sentait un peu niaise. « Ne reste pas les yeux fixés au sol. Regarde le dans les yeux, et ne te laisse pas faire… » Ça y était : le scénario habituel : elle ne l’avait pas encore vu mais elle avait déjà prévu de l’engueuler…

Le cabinet était confortable. Le consultant avait cet air un peu perdu des psys.

« Je suis malheureuse… je vois tout en noir… comme ma mère… » « Vous voulez dire que chaque fois que quelque chose se présente à vous, vous voyez toujours le pire, c’est bien cela ? » « Oui, j’imagine toujours qu’il va y avoir un lézard… » « Donc vous diriez que vous êtes prévoyante, n’est-ce pas ? » « Oui, mais cela ne m’aide pas… »

Il sourit et poursuivit : « Mais que vos prévisions se concentrent sur les inconvénients uniquement et finissent même par devenir des tsunami ? » « Oui, c’est cela, et je ne peux pas m’en empêcher… C’est plus fort que moi… » « Qu’entendez-vous par plus fort que moi ? » « Que je ne peux pas m’empêcher d’y penser, c’est tout de même pas compliqué à comprendre… » (Ça y est, elle devenait agressive…) « Quand vous dites que vous ne pouvez pas, vous voulez dire que vous ne pouvez pas contrôler l’arrivée de vos idées noires ou que vous ne parvenez pas à les circonscrire ? » « Oui, c’est plutôt le 2e… » « Et si vous pensez à tous ces ennuis possibles, c’est bien parce que vous souhaitez les éviter, pour vous protéger ? » « Oui, je suppose… »

Elle commençait à se sentir un peu mieux. Pas un mot sur sa mère ? Ah oui, c’est vrai, c’est un philosophe. Il est pas mal d’ailleurs, dommage qu’il ne sache pas s’habiller…

« Et ces idées qui devraient vous protéger, en fait, vous perturbent…. » « Oui, il faudrait que je trouve un moyen de … » Il la coupa : « de les relativiser… n’est-ce pas ? » « Oui, en fait mes idées noires sont un outil de protection, comme les fondements d’une maison et il ne fait donc pas les détruire, c’est ce que vous me dites ? »

Il la regarda et sourit. « Et en même temps, je devrais peut être rajouter d’autres idées, peser le pour et le contre, me demander si j’ai de bonnes raisons de me tourmenter… » « Vous voulez dire élargir le champ de votre questionnement et donc considérer que les « idées noires » ne sont que des idées parmi d’autres ? »

Il n’avait pas bougé. Lui, il n’avait pas une tête à être angoissé, ça se voyait. « Je suppose, par exemple, que le matin à l’EHPAD, vous avez toujours peur de ne pas pouvoir faire votre travail et que cela vous stresse ? » « Oui, bien sûr, ça j’arrive toujours au boulot nouée. » « Et cette idée vous stresse encore alors que cela fait 10 ans que vous faites ce job et que vous y arrivez toujours… » « Je sais, je suis stupide… »

« Vous êtes stupide ? » reprit-il en insistant sur le vous. « Enfin, non, mes idées sont stupides… » « Parce que vous les avez comparées avec le réel ? » « Oui… » « Bon, merci, la consultation est terminée. » « Ah ? » Danielle était estomaquée. Ça venait juste de commencer.

« Oui, vous avez compris que vos peurs étaient fondées, qu’elles avaient un but : vous protéger et que pour que ce but soit atteint il était nécessaire d’élargir le champ de votre questionnement.

Vous l’avez compris dès lors que vous ne dites plus je suis stupide, mais mon raisonnement n’est pas complet. Vous disposez donc de tous les moyens pour réussir. »

Il se leva et la raccompagna à la porte.

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