Ce fut une belle cérémonie. Le maire s’était déplacé en personne avec son écharpe tricolore. Tout avait été pensé, organisé au mieux.
Cela n’a pas été un coup de foudre. Non, des échanges de regards, quelques banalités énoncées avec beaucoup de tendresse.
Nous nous sommes rapprochés peu à peu. La patience est la vertu de nos âges.
Elle était veuve depuis plus de trente ans. Elle avait conservé les doigts crispés, douloureux de celles qui ont plié, cousu, assemblé les parachutes.
D’abord pour les Allemands puis pour les Français et les Anglais. C’était de la belle ouvrage.
La mitraille faucherait les deux-tiers des hommes dans le ciel mais les coutures tiendraient bon : paradoxe éternel des conflits armés.
Nous savions que des larmes avaient coulé lors de leur confection et nous avions confiance.
Moi, je m’étais marié tard, à quarante ans. Il le fallait. Un homme ne sait vivre seul. Cela ne s’était pas trop mal passé mais elle est partie trop vite…
Je suis désormais particulièrement attentif au rasage avec mon aide-soignante. Elle le sait. Le moindre poil oublié et j’ai de terribles colères. Je me regarde, m’examine au plus près les joues, le cou depuis le début de ma relation avec Henriette.
Ce qui m’a stupéfié tout d’abord, c’est mon regard. A mon entrée dans l’EHPAD et jusqu’à la certitude de sentiments partagés avec Henriette, il était vide, inerte, comme s’il n’y avait plus rien en moi.
Depuis, il est vif, inquisiteur, brillant, fougueux.
C’est une passion bien différente que nous vivons : des activités communes dans le salon, quelques mots tendres, nous déjeunons et dînons côte à côte.
Nous avons chacun notre chambre : nous ne nous imaginerions pas gigoter dans une couche commune.
Je l’ai embrassée sur la joue le jour du mariage. Parfois, nos mains se joignent. Cela suffit. L’amour mûr n’exige plus de preuves. Nous avons su ranger au grenier des afflictions jalousie, vexations, colères et autres billevesées.
Cette passion se rapproche un peu de la béatitude. Nous songeons plus chacun l’un à l’autre que nous n’échangeons. C’est une impression si étrange de se sentir chacun l’un au cœur de l’autre.
Nous savons bien que nous n’avons pas l’éternité mais cela ne nous tourmente pas. Cette vie-là est ce que l’on peut avoir de mieux.
Je comprends mes amis résidents : ils n’ont rien à échanger. Ils n’ont d’autre soin que de se tourmenter éternellement.
Au printemps, si nous sommes encore tous les deux ici, nous nous installerons côte à côte dans le jardin, après le déjeuner.
La gériatre est venue ce matin et m’a apporté un petit bouquet de fleurs. - Je suis très heureuse pour vous et Henriette, m’a-t-elle dit. Cette femme est le meilleur médecin que je n’ai jamais eu. Elle écoute et comprend avant de diagnostiquer…
Fin 46, notre compagnie, fatiguée, s’était vue confier l’occupation d’un îlot de l’archipel japonais avec un bataillon américain.
Nous y sommes restés trois mois. Gymnastique le matin, prostituées après le déjeuner masquant autant que faire se peut leur haine des occidentaux et puis fumerie d’opium, entassés par douzaine dans des caves souterraines. A dix-huit heures précises, nous étions réveillés. Un comprimé d’amphétamines nous remettait droit. Mais que peuvent donc faire des soldats quand il n’y a pas de guerre ? L’opium a été pour moi l’accès à des rêves inouïs. Plus de soixante ans plus tard, ils sont à nouveau étrangement présents en moi.
Ils ont ressurgis avec la béatitude du mariage et la complètent magnifiquement.
Pour tout vous dire, je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie qu’aujourd’hui...
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