Fred est prof de philo. Il passe sa vie à s’interroger sur le sens du monde. Cela ne l’a pas quitté lorsqu’il a installé sa maman dans un EHPAD. Ce qui le passionne : les relations entre le personnel et les résidents.
Fred a une approche particulière : l’entactogénie (barbarisme servant à deviner les sentiments d’autrui et à se les approprier – un peu comme super-empathie).
Bref, à partir de ces ressentis, il théorise.
Il sent tout de suite une curieuse relation entre les soignants et les résidents. Il arrive même à trouver cet « impératif catégorique » présent dans toutes les têtes des soignants : « Tu dois les aimer et te dévouer pour eux sinon tu es mauvais ».
Il pensait qu’il n’y avait que dans l’enseignement que l’on trouvait ces convictions… Il pense aussi à Sisyphe qui incarne à ces yeux parfaitement le destin des soignants.
Destin maudit ? Qui oblige chaque soignant chaque jour à porter une charge identique ? Et à recommencer ? Et ainsi de suite…
Oui, le soignant se voit souvent comme un objet qui contribue à la satisfaction des désirs d’autrui…
Mais comment recevoir la contrepartie ? Comment le soignant pourrait-il être aimé (puisque l’impératif institutionnel le lui impose) ? Il ne retirera jamais les fruits de l’investissement libidinal qu’il s’impose. Il se condamne donc à la frustration éternelle…
Serait-ce donc le pari du soignant : aimer sans être (totalement) aimé ou reconnu ?
Ce serait donc un métier de « souffrance », « d’abandon de soi » ? Cela signifierait que quoi que l’on dise, on est toujours dans la relation entre un être charitable et un être nécessiteux ?
Que le poids de notre histoire et de notre culture nous condamnerait ?
Fred en arriva à la conclusion qu’il était plus que nécessaire que les parties prenantes dans ces métiers prennent le temps d’y penser, mais aussi de le formuler et surtout de « mettre à distance » cette peur omniprésente de « ne pas bien faire » .