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Les malheurs de SUZIE

Dernière mise à jour : 16 juil. 2021

Je m’appelle Suzie, j’ai 32 ans. Cela fait bientôt 10 ans que je suis AMP. J’ai l’impression d’avoir passé ma vie avec les vieux. Au début, on arrivait à se défendre car il y a de très méchantes personnes. Mme Jeanne les grondait, les secouait un peu et tout rentrait dans l’ordre. Le Directeur de l’époque, ça c’était un Directeur : M. Philippe. Toujours en costume, chemise blanche et cravate. Et ça tournait. Il passait au salon et leur disait : « Vous n’allez pas passer l’après-midi à rêvasser tout de même. Ce serait un comble. 30 mn de sieste devant la TV je veux bien. Mais point d’oisiveté. Cet après-midi, c’est gym. Vous connaissez, « Mens sana in corpore sano ». C’est écrit là. » Et il pointait l’affiche. « Ensuite, préparation du goûter puis lettre aux familles. C’est compris ? »

A l’époque, les dames et même les messieurs le craignaient et l’admiraient aussi. Et les familles, toujours au garde-à-vous. « Votre mission est de contribuer à ce que votre proche ait la meilleure vie possible. Alors je ne veux pas vous entendre vous plaindre ou les plaindre. Ici tout le monde doit prendre sa mission au sérieux. » Il rajoutait un « je suppose que vous êtes d’accord ? » qui claquait.

Une fois, une mamie qui venait d’arriver ne voulait pas se laver :

« Je ne suis pas sale » disait-elle. Il est allé dans sa chambre et lui a dit : « Vous pensez que l’hygiène c’est important ? Et vous ne pensez pas que l’on va autoriser quelqu’un à se laisser aller dans cette maison ? »

Ouhhh, après elle chantait même pendant sa toilette (et fort, pour que le Directeur l’entende.) A l’époque, Monsieur le Curé venait le samedi pour la confesse et dimanche matin pour la messe. Tout le monde était là. Monsieur le Directeur en premier….

Maintenant, le nouveau Directeur est en jeans. Il est toujours en train de leur demander comment ça va. Et ça ne va jamais. Il blablate, fait des phrases auxquelles on ne comprend rien. Bien sûr, il ne va pas à la messe… Mme C qui est là depuis avant moi dit : « C’est une c… molle ». Et depuis, les résidents ne veulent plus se laver ni aller à l’animation, ni aller à la messe. Quel gâchis. Je l’ai dit à Mme D. « Vous finirez en enfer ! » Eh bien vous savez quoi, je me suis fait gronder. On m’a même envoyé en stage. Je l’ai dit à la formatrice : « Les mamies, elle radotent. Elles me demandent l’heure des fois 6 fois de suite. Ca m’énerve. Au bout de la 3e fois, je les gronde. Et elles se taisent. » « Tu es maltraitante » m’a-t-on répondu. « Et comment vous feriez ? » ai-je rétorqué. « Eh bien, il faut répondre comme si c’était la première fois… » « Facile à dire. On voit bien que c’est pas elle qui s’en occupe. » Le soir j’ai pleuré.

Avant c’était un beau métier : on les traitait comme n’importe qui. On parlait, on s’engueulait. Elles nous donnaient des conseils pour la cuisine. Chaque fois qu’un enfant naissait il avait une marraine dans la maison. Elles lui tricotaient sa layette.

Maintenant elles sont comme des enfants : toujours à se plaindre. Et moi, je veux plus de ce travail. Je préfère le chômage au malheur…


(extrait du stage « Optimiser la bientraitance »)

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