Mes enfants ne viendront jamais me voir. Je le sais. Dieu merci, ce n’est pas discriminatoire, c’est le cas de beaucoup d’entre nous. Ils ont pensé que nous attribuer leur malheur allégerait leur destin, dissoudrait leurs frustrations… Moi-même, je dois l’avouer, j’ai eu, en son temps, des rancunes envers mes parents. A cette époque-là, elles restaient secrètes et jamais nous n’en eussions parlé.
Nos enfants ont appris à exprimer leurs sentiments. L’on pensait désormais que parler était préférable. Je ne le crois plus. La rancune est une part de nous. L’évoquer, la convoquer, la déguiser n’y change rien.
Nos bavardages et nos récriminations nous trahissent et peuvent même nous obséder. Nous demeurons des enfants qui 40 ou 50 ans plus tard osent répondre à leurs parents. Ne serait-ce pas un peu tard ?
Je suis dans le salon, les yeux mi-clos.
L’on doit penser que je sommeille ou me complaît dans mes souvenirs.
L’on ne peut vivre que de souvenirs, bons ou mauvais. Si l’esprit est encore vif, il doit travailler…
C’est l’un des avantages d’être ici. On a le temps de réfléchir. D’abord parce que l’exercice en soi est bonifiant. Ensuite parce qu’il nous confère un peu d’éternité. S’il ne fallait songer qu’à la mort, nos songes seraient insupportables…
Et puis l’on s’y distrait à peu de frais, pour peu que l’on veuille bien s’y prêter et ne pas s’enfermer dans des refus colériques.
La solitude devient une excellente compagne après un certain temps. Les autres ne nous manquent plus. L’on converse avec soi-même.
Finalement, je ne l’avouerai jamais, mais je suis content qu’ils ne viennent pas…
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