L’affiche l’avait tenté. Le conférencier était un de ses anciens Maître à penser, A. Schopenhauer.
Ce lundi-là, Nietzche était en RTT.
« Raison de plus »… pensa-t-il.
Il était allé à la Mutualité à pied. Grand soleil dans le 5e. Klaxons à fond. La vie… quoi.
Arthur, le conférencier, ajusta ses lunettes et lança son Power Point. « Le Burn-out est la version moderne du nihilisme. Observez le mouvement circulaire de la paralysie face à l’action et du grand vide théorique. Les hommes n’arrivent plus à agir, ils ne savent plus que faire. Mais c’est parce qu’ils ne savent plus quoi penser. Pourquoi ont-ils cessé de croire ? Pourquoi leurs valeurs ne « valent plus rien » ? » Nietzche savait déjà où il voulait en venir : l’impitoyable cruauté de l’existence, lutte incessante pour satisfaire des désirs aveugles, en était la cause. Telle était la position d’Arthur. Nietzche ne pouvait le comprendre, ni même le saisir. Mais comment donc la vie pourrait-elle être cette souffrance interminable et absurde ?
Les valeurs se seraient-elles affaiblies d’elles-mêmes, déchirées par trop de contradictions ? Serait-ce l’amour de la vérité qui pousserait ces hommes à « jeter l’éponge » ? En ce cas, l’homme serait fondamentalement nihiliste et gommerait sa déprime en s’activant ? Après le christianisme, le communisme, puis quoi ? la mondialisation ? Frédéric était désormais certain que cette « angoisse » était inhérente à l’homme. Le burn-out est un masque mais pas une représentation pensa-t-il.
« Puisqu’il n’y avait plus ni Dieu, ni Maître, les hommes construisirent un modèle idéal : la longévité… » continua Schopenhauer.
Peut-être pensa Nietzche, mais je crois plutôt que nous survalorisons trop le travail et que le burn-out n’en est qu’un des inconvénients. Et il y a tellement d’avantages : il devient rare, précieux, objet d’amour, de convoitise, scellé dans le Droit… Notre imaginaire n’en peut plus de se représenter le travail comme une merveille alors que notre ego sait que c’est totalement faux. Certains survivent longtemps avec ça. D’autres explosent en vol, puis se reconstruisent. Mais ils ne sont plus jamais les mêmes : ils traînent cet échec, cette injure au monde. Ils ont saisi cette vérité, elle les a broyés et ils n’ont pu l’affronter. Le retour participe de l’illusion.
Schopenhauer reprit : « C’est la peur qui guide le monde et nous fait tenter d’éviter toute souffrance… »
« Oui » dit subitement Nietzche, « mais voyez-vous professeur, de cette vie-là, je ne veux pas. Je préfère affronter la souffrance du corps plutôt que la douleur de l’âme… »
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