« La résignation est-elle l’étape clé entre révolte et adaptation ?
Si c’était le cas, il nous faudrait construire un parcours individualisé notamment pour aider nos résidents à passer de la résignation à l’acceptation, non ? »
La réunion d’équipe commençait.
Tout le monde avait hâte d’entendre ce nouveau directeur.
Toute l’équipe, med co compris, se regarda…
« Ce que je veux dire, » reprit Paul, le nouveau, « c’est que l’on maîtrise bien le processus qui va du « jamais je ne m’habituerai » au « je n’ai pas le choix ».
Nouveau silence, consterné.
Il reprit :
« Donc on est capables d’intégrer un résident en 3 semaines, mais l’on peine à ce qu’il soit totalement bien adapté… »
La cadre réfléchit.
« Ce que vous voulez dire, c’est qu’ils acceptent de vivre ici parce qu’ils savent qu’ils n’ont pas le choix et que nous devrions les accompagner vers une vie meilleure ? C’est cela ? »
« Exactement : rare sont ceux que l’on voit avec un sourire de satisfaction affiché. Si dans un premier temps, on pouvait réussir avec un ou deux résidents, nous pourrions peut-être définir une méthode…
Pourquoi ne pas leur mettre le marché en main avec un deal du style : on ne peut pas être heureux à votre place mais on veut tout faire pour que votre vie ici soit la meilleure possible… »
L’équipe soupira. Paul se demanda s’il avait vu juste. C’était sa première expérience dans ce secteur. Le med co cassa l’ambiance. « Si je comprends bien, comme Saint-Just voulait rendre obligatoire le bonheur vous exigez des Résidents qu’ils soient heureux ? Vous ne pensez pas que c’est une affaire individuelle ? » Il n’avait pas osé dire qu’avec plus de 50% de Résidents atteints d’Alzheimer ce n’était pas jouable. Et puis l’ARS attendait : encore 12 PVI à achever… « Non » dit Paul. « Notre première mission, c’est qu’ils vivent au jour le jour, d’instants en instants, de plaisir en plaisirs, de routines en routines, la vie la plus heureuse possible. Et nous sommes là pour ça. » « Moi, je dirais plutôt une vie agréable plutôt qu’une vie heureuse… » reprit la Cadre. « Je sais » dit Paul « et c’est ce qui nous sépare… »
Il pensait que les équipes avaient été « trop maltraitées » pour que ce message passe. Mais il n’était pas pressé. Il voulait juste que les gens qui l’entourent ne soient pas seulement face à une succession de tâches à accomplir mais qu’ils portent d’avantage en eux ce but. On peut accuser n’importe qui… pensait-il, mais la qualité de leur bonheur est entre nos mains. Il laissa le silence s’installer. Après tout, il n’était pas nécessaire pour lui d’occuper l’espace sonore. Il savait que c’était sa responsabilité. L’équipe travaillait bien, très bien même mais sans réelle visibilité. Il ne suffirait pas de leur dire « c’est bien ». Il fallait coordonner leurs efforts pour en faire quelque chose d’unique, quelque chose de bien, de beau de bon et de juste comme aurait pu le dire Aristote. C’était cela la difficulté du métier : non pas motiver les gens comme on agiterait une marionnette, non, surtout pas… Il fallait faire quelque chose de bien du travail qu’ils produisaient. Il fallait que les résidents connaissent leur humanité profonde, touchent du doigt tous ces efforts consentis pour eux, qu’ils connaissent le prix du dévouement. Une petite voix dans sa tête lui dit : « Comment tu vas faire, maintenant ? » Et il se surprit à répondre à voix haute, devant tous : « Ah, je ne sais pas comment faire. »
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